La démarche de l’artiste

 Durant ses trente et une années passées à attraper au vol ce qui est donné à voir, semble-t-il par hasard, j’ai réalisé un certain nombre de projets définis et m’y suis tenue sans en avoir tout à fait conscience. Bien sûr, dans un « après-coup », je constate l’évolution, le temps à vivre, à s’autoriser et à s’entendre. Toujours, je vais vers ce qui est souligné par l’obscur, et l’ombre rendue possible par la lumière, ça je le sais. 
    Ce métier de photographe m’est aussi indispensable que celui de psychanalyste tourné vers l’énigme de soi, de l’autre. Dans un premier temps, il est toujours question d’un « second temps » à élaborer. 
Sans retouche, ni filtre ou macrophotographie. Ceci parce que je tiens à ce que tout un chacun ait le loisir de voir ce que je regarde. C’est bien exigeant parce que je ne donne aucun repère à ceux qui m’en demandent ! Ainsi mes images m’échappent grâce au sens que vous leur donnez et se retrouvent parfois complètement à l’envers ! C’est très bien ainsi.

    Pour les mêmes raisons, je suis très attentive à ce que mon travail puisse être lu dans votre langue d’origine. Vaste programme que l’universalité ! Alors je vais me balader, petit à petit, de traducteurs en traducteurs, c’est un pas vers vous. Une tendance à l’ouverture, pas plus mais tout de même…
Ce site est né de trois rencontres : l’une graphiste, qui insiste sur la lisibilité de mon travail en construisant ce site, Camille Garnier.
Louis Blancard, Art digital studio, qui vous raconte comment et pourquoi il tire mes photographies sur digigraphie et avec quel papier.
Enfin, j’ai confié à Prune Mallet, historienne d’art, la description et l’analyse de mes images.

 Noëlle Echiffre

 

« La nature morte est un arrangement en train de se désagréger, c’est quelque chose en proie à la durée. » *
La photographie dépasse le réel : est-ce la fragilité d’une paillette, ici le trouble d’un voile, encore l’obscure caresse d’une ombre… Noëlle approche ce mystère.  Tout ici, dans ce cadre si étroit compose le jeu d’énigmatique présence.
Qu’elle soit née dans la terre ou collée au salpêtre, dans l’intimité d’un soir ou l’ivresse d’une foule, cette image, qui ne fait appel à aucune anecdote, invente mon histoire : mille et un souvenirs pour la décrire, et mon esprit divague happé par cette fenêtre. Comme dans un conte probablement de Modiano où la petite fille que j’ai laissée, se promène encore dans une maison oubliée et dont seules les images dispersées sont restées. Désormais plus rien n’est si vrai que ce papier, sur lequel mon souvenir est figé, que la magie de l’encre m’a restitué. Quel est ce pouvoir qui vient d’une réalité dépassée ? Celui de composer un espace, d’effacer les repères pour les reconstruire. Que faut-il pour ensorceler nos esprits !

    Objectiver la nature
Le souhait de représenter le monde tel qu’il est, suppose l’exposition des éléments qui font sa réalité matérielle, la découverte aussi de ce qu’il révèle de plus étrange, puisse cela être physique ou sacré.
On perçoit un sentiment nouveau, la nature apparaît. Le paysage n’est pas seulement un décor : ce n’est pas l’unique fond de scène, mais le témoin, la première prise d’un univers de proximité inaccessible auparavant. S’ouvre alors, une porte invitant au parcours. On le dit une invitation propice à l’émergence d’un sentiment neuf, une révélation : Le temps m’accompagne tel un guide, la marche est trahie par le souffle chaud du vent, la progression des nuages, le ruissellement, le feuillage jaunissant. Un cumulus gonfle, et j’entends le tambour du ciel ; les arbres ont frémi et la souche à terre boit les premières pluies. Jamais plus je ne reviendrai en arrière.

Le diaporama m’entraine, je m’éloigne avec douceur et par jeu. C’est tout le confort de la série qui par truchement, captive et m’emporte au rythme d’une partition dont seule je connais le tempo. De cette figure linéaire paraît un œil ouvert dans le centre de la terre. …
Je ne suis plus, l’image est dépeuplée, certes mon humanité ne pèse pas. L’image résonne d’une force incapable de submerger tout ce que je suis. J’aime si cela me dévore, je laisse venir la morsure, plus amère est celle du temps, inlassablement présent.
Ne suis-je cet arbre, étrange perception : je mesure la métamorphose ; quelles étaient les craintes d’Ovide ? Quels sont ces dieux qui jouent de la matière qu’elle paraît si précaire ?

    Étrange dialogue avec le visible
Noëlle Echiffre aime figurer les métamorphoses, frotter les phénomènes les plus indicibles, scruter les lumières sur les corps, la peau approche l’aspect d’une étoffe, accroche la danse mécanique du temps. Sait-elle incarner dans ses photographies les secrets de nos multiples personnes ?
Quel  étrange invitation à contempler ses photographies où la lumière caresse, dissimule et révèle un monde sublimé par l’image. L’univers est familier, croît-on reconnaître une odeur, l’écorce d’un chêne, le mur sec, l’eau croupie, un corps baigné de soleil.
Je me souviens des lumières, des obscurités. C’est d’abord ce qui m’attirait. Et puis la curiosité de toucher dans chaque photographie ce qu’elle avait dérobé. Comment comprendre que Noëlle ait capturé l’infiniment proche, le plus intime de ce qui m’entourait ?
L’approche n’est certes pas documentaire, plus qu’esthétique, elle parvient à scruter l’essence même de la matière dans sa réalité la plus troublante. La peau humaine, ainsi exhibée séduit, captive, dérange et fascine.
À quoi bon identifier la nature du procédé, rien ne sert de distinguer le sujet : le sens premier est de s’y projeter, y partager la fragile sensibilité du poète. C’est presque un caprice, une fantaisie recomposée, une lointaine image cachée. C’est insensé d’observer l’éphémère reflet, le souffle de l’eau, le vacillement lumineux, le crissement d’un drap…et d’y reconnaître tout naturellement pour d’autres lieux, les formes, les silhouettes, les couleurs de ce qui autrefois nous appartenait.
Noëlle Echiffre est psychanalyste, quel étrange fait.
Elle ne transforme rien, elle donne à voir ce qui ne paraît que variété de détails (la diversité du monde) dans sa grande complexité. Aucune image n’est retouchée, et l’illusion n’est projetée que par notre volonté. Sans doute n’y voyons-nous pas tous la même apparition. La matière est éphémère, l’éclat de lumière disparaît…furtive sensation désormais figée par le habileté d’un œil qui sait comment capturer l’apparente réalité.
Prune Mallet


* Claudel « L’introduction à la peinture hollandaise » 1934.