Zoom sur les séries « Rencontres »

Faire des portraits en tant que projet photographique, il n’en était pas question !

J’avais le sentiment de kidnapper quelque chose de trop intime ou de participer à une illusion, une idéalisation.

L’été 2009 à Guercheville, dans notre maison, j’ai pris l’empreinte de certains moments informels et musicaux vécus par Jean et un de nos enfants. Et puis il s’est retrouvé seul devant un escalier espéré et attendu, deux corps de métier, le fer chauffé, détourné, soudé et le bois poli, assoupli sous la main.
Seul donc, il l’était avec son saxo.
Alors moi, là juste sa femme, j’ai été le chercher dans mon objectif. À la fois midinette plongée dans les bars américains et les jazz man et baladée par la solitude tranquille d’un homme.
La photo, je l’ai et j’y tiens. Il ne s’est pas senti volé et je n’ai pas pensé lui avoir pris quelque chose d’important qui allait lui manquer.
Ceux qui voit la photo regardent ce Jean qu’ils connaissent et qui est autre que ce qu’il vit de lui-même.
Alors enfin je me suis autorisée à aller chercher des traits de visages dans l’instantané d’une rencontre.
Bas les masques ! Pas d’esthétisme protecteur, aucune vérité autre que ce que chacun voit, ressent.

Je vais donc à la rencontre de chaque personne qui le désire chez lui/elle pour rester au plus près du familier, ne pas se demander où est la chaise et quelle consistance elle aura sous les fesses. Non, un petit coin avec une lampe de la maison à balader pour que l’ombre soit aussi un peu lumière.

Un plan arrière qui n’attire pas trop le regard mais qui dise quelque chose de soit.

Aussi un peu de ré appropriation de celui qui s’est prêté au jeu avec tant de sincérité et décide d’un mot, d’une phrase ou d’un texte qui accompagnera les expressions qu’il/elle vous offre.

Un travail qui se fait un peu en catimini, à voix basse.

Noëlle Echiffre


Le regard de Prune Mallet, Historienne d’Art

L’exercice du portrait est sans doute le plus complexe, parce qu’il est l’épreuve d’un compromis entre immuable sincérité et troublante fugacité. Ce sont les images les plus fugitives de Noëlle Echiffre. Elles ne fixent qu’un instant, dans le cours d’une vie, une rencontre.

L’image réduite au cadre du visage soutient la postérité, c’est bien l’idée du portrait. Cependant il demeure inachevé. Car c’est dans le visage que réside essentiellement la vie.
Comment capter en un si faible moment, pour les soumettre à notre seul regard, les affections et passions de l’âme ?
Mieux que la peinture, la photographie est une arme. Elle chasse une expression, jaillie dans la circonscription de la lumière par le contour d’une forme humaine, le pincement d’une lèvre, la fuite d’un regard, la tendresse d’une ride, l’offense d’une épaule, la force d’un sourire. Du clair-obscur jaillit la forme, le trait d’une ombre comme la reconnaissance d’une vie intérieure.
Au terme de sa quête, le photographe lève le masque et dévoile les sincères fluctuations de mon être. Christine, Flo, Fred, Jean, Myrtille, Pierre. Je suis tous ces visages, au-delà des frontières.

Quel étrange compromis au seul pouvoir de transmettre avec pudeur l’offrande d’une présence affective ! désarmante rencontre.

Prune Mallet